Dans le cadre des Rencontres Michel Foucault (À chacun sa famille, tables rondes, conférences, films, spectacles, qui se dérouleront à Poitiers du 5 au 8 novembre 2019), le psychologue Alain Ducousso-Lacaze organise le vendredi 8 novembre une table ronde, à 11 h au TAP auditorium, avec Dominique Mehl (sociologue, CNRS, EHESS) et Julie Terel (juriste) autour du thème Les liens familiaux à l’épreuve de la Procréation médicalement assistées (gratuit, durée 1 h 30)
Lors de cette table ronde, je ferai une intervention intitulée : « Choisir son ‘monstre’ : la quête de l’enfant parfait », dont voici l’avant-propos :
En 1992, un biologiste espagnol du nom de Francisco Mojica est intrigué par des séquences répétées d’ADN chez une bactérie (Rodríguez Fernández, 2017). Cette observation, qui va donner naissance au désormais célèbre CRISPR/Cas9 ou ciseaux génétiques, est déjà considérée comme une rupture majeure à venir : le pouvoir de manipuler, d’altérer le génome et d’infléchir radicalement notre destin biologique individuel et collectif. Cette découverte s’inscrit dans une continuité, celle d’une accélération du changement biomédical à l’œuvre depuis la fin des années 1950, inaugurée par la découverte de la structure de l’ADN par James Watson, Francis Crick et Rosalind Franklin.
Parmi les dates-clés qui jalonnent cette période, 1978 retient notre attention. Avec la fécondation in vitro (FIV) et le transfert embryonnaire dans l’utérus maternel chez l’humain, pour la première fois fécondité et sexualité sont dissociées. Cette rupture ouvre une brèche vers une potentielle gestation extracorporelle complète : l’utérus artificiel (Atlan, 2005) ou ectogénèse (1). Un fantasme aux répercussions infinies qui répond d’ores et déjà à un certain nombre d’aspirations (Atlan, 2005 ; Martin, 2011).
Dans une autre perspective, à l’intersection de la fiv, du diagnostic préimplantatoire (DPI), mais aussi des techniques de congélation des spermatozoïdes et de la vitrification ovocytaire et embryonnaire, se cristallise actuellement la possibilité inédite de définir les caractéristiques de l’enfant à naître. Aux États-Unis, les Fertility institues du Dr Jeffrey Steinberg offrent déjà à des couples la possibilité de choisir le sexe de leur l’enfant ou la couleur de ses yeux. La sélection humaine, l’eugénisme, étymologiquement la « bonne naissance », s’incarne ici et maintenant. Alors que l’ingénierie génétique s’ébauche, à quand l’« augmentation » physique voire cognitive, visant au dépassement des standards humains ?
Dans cette intervention, j’explorerai successivement les jalons qui ont conduit à la fécondation in vitro humaine, les services offerts par les Fertility institutes du Dr Jeffrey Steinberg, puis j’examinerai, chez certains auteurs transhumanistes, via l’augmentation cognitive, l’idée de l’enfant parfait, un « monstre » au sens du médecine et philosophe Georges Canguilhem (1965) : un être contre-nature qui interroge la norme, un fantasme qui prend consistance…
Bibliographie
Atlan H., L’utérus artificiel, Paris, Le Seuil, 2005.
Canguilhem G., « La monstruosité et le monstrueux », in La connaissance de la vie, Paris, Vrin, 1965, 171-189.
Martin S., Le désenfantement du monde. Utérus artificiel et effacement du corps maternel, Montréal, Liber, 2011.
Rodríguez Fernández, C., « Interview with Francis Mojica, the spanish scientist who discovered CRISPS », Labiotech. Eu, 13 novembre 2017.
[1] C’est en 1923 que le biologiste John B. S. Haldane (1882-1964) forge ce néologisme. L’ectogénèse peut être définie comme une gestation complète extracorporelle dans un incubateur faisant office d’utérus artificiel. Le mot sera repris dans le roman d’Aldous Huxley Le meilleur des mondes (1932).
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